La fête de mariage au XXI ème siècle

Une mise en scène du couple parfait ?

(France, 2016)

Florence Maillochon

En France (selon les chiffres de l'INSEE), le nombre annuel de mariages diminue depuis 45 ans, de 400 000 en 1970 à 240 000 en 2015 (en comptant les 8000 mariages entre personnes de même sexe). Le mariage subit la concurrence de l’union libre et, depuis 2000, du Pacs dont le nombre ne cesse d’augmenter, notamment pour les personnes de sexe différent (96% des pactes actuels). Depuis 2009, deux Pacs sont célébrés pour trois mariages.

AnnéeNombre de mariages
1970
2015

Le mariage n’occupe pas la même place dans la formation du couple que dans les années 1970. Il n’est plus le sésame qui permet aux jeunes couples d’avoir une existence reconnue et de s’installer ensemble. La cohabitation s’impose comme préalable. Les mariages « directs » (sans cohabitation préalable), majoritaires dans les années 1970, représentent moins de 10 % des unions conclues actuellement. Dans ce nouveau contexte conjugal, le rituel du mariage et son sens se sont transformés. Les jeunes ne disent pas qu’ils font la fête pour célébrer leur union, mais qu’ils se marient « pour faire la fête », comme s’ils souhaitaient « se marier » plutôt qu’ « être mariés ». Vivement contestées dans les années 1970, la plupart des « noces » sont actuellement très travaillées et très fastueuses. Elles rassemblent un nombre croissant de convives d’où l’impression paradoxale que la fête du mariage est « à la mode » alors que l’institution est en déclin. Conformément à l’idéal de « réalisation de soi » imposée par notre société, les couples souhaitent réaliser « un mariage qui leur ressemble ». Ils cherchent à inventer un nouveau rituel, dépoussiéré de l’encombrante « tradition » et qui se démarque des pratiques de leurs aînés. Ils reproduisent cependant peu ou prou un modèle commun à leur génération qui, sous couvert « d’originalité » et « d’individualité », suit un schéma standardisé aussi bien dans l’organisation des préparatifs que dans le déroulement du jour J. En cherchant à « personnaliser » leur mariage, les futurs mariés obéissent à une injonction sociale aussi contraignante que « la tradition » qui imposait de reproduire un modèle de noces déjà éprouvé.

Le jour du mariage peut être comparé à une performance artistique et esthétique pour devenir, suivant l’expression consacrée, le « plus beau jour de la vie ». L’esthétisation des noces n’est pas une nouveauté, mais sa place dans la préparation du mariage et son sens a changé. La volonté de « personnaliser » son mariage a transformé la recherche d’embellissement de cette journée en une véritable quête de perfection. Dans la mesure où les noces se parent d’une signification expressive du couple, chacun de ces éléments devient essentiel et mérite d’être réfléchi, soigné, magnifié. Tout est conçu pour se dérouler dans l’émotion de l’instant alors que tout a été prévu de longue date dans les moindres détails. L’expression « le plus beau jour de la vie » était une métonymie pour désigner le « premier jour du couple » entendu comme une promesse de longue vie et de bonheur partagé. Elle apparaît désormais comme une injonction et une réalité esthétique: tout est organisé pour que les noces soient au sens propre « le plus beau jour de la vie du couple », l’expression de son rayonnement. L’allongement des préparatifs du mariage vise à assurer que le jour des noces sera parfait, à l’image du couple qui sera enregistrée sur de multiples supports (photographies, vidéos…) pour passer à la postérité. Les noces sont devenues une « projection » du couple aux deux sens du terme : à la fois une vitrine de son essence et une promesse de ce qu’il doit continuer à être ou devenir.

La photographie

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La photographie de mariage apparaît à la fin du XIXe siècle. Effectuée par des professionnels et réservée alors à une certaine élite, elle se diffuse progressivement dans l’ensemble de la population, y compris rurale, au cours du XXe siècle. Avec la démocratisation des appareils photographiques dans les années 1960, les professionnels perdent le monopole de l’imagerie nuptiale. Celle-ci se transforme en quantité et en qualité. La photographie de mariage n’est plus unique : les clichés se multiplient. Les prises « officielles » le plus souvent posées, réalisées par des photographes, sont supplantées par les prises « sur le vif » réalisées par les invités, dans des scènes moins conventionnelles. Les photographies du mariage remplacent la photographie de mariage, seuls importent désormais les clichés qui saisissent la magie de la fête et de l’événement. La quête d’authenticité à travers la capture de l’instant et des émotions se double le plus souvent d’une quête d’exhaustivité, fantasme que la photographie et la vidéo numériques alimentent aisément grâce à leur immense capacité de stockage. Les nouvelles technologies permettent d’accorder une importance à chaque instant, à chaque détail des festivités. Pour des personnes ayant passé une année ou plus à organiser leur mariage, tout est mémorable, et pas seulement l’instant de l’engagement officiel. La fonction de témoignage de la photographie qui permet de convertir ce qui apparaît sur le papier en preuve de réalité justifie l’exigence de perfection des clichés. Un beau mariage n’assure pas nécessairement de belles photographies. Les belles photographies de mariage révèlent en revanche le beau mariage. L’occultation du processus de construction des images (aussi bien du dispositif photographique que des longs préparatifs qui permettent d’assurer une esthétique photogénique) permet d’essentialiser la beauté apparente du couple le jour J et de la convertir en « naturelle » beauté. Preuve qu’il est sublime, puisqu’il l'a été, le couple est aussi inscrit dans la postérité grâce à l’image qu’il a réussi à construire de lui.

La demande en mariage

Exemples de demande en mariage disponible sur la plateforme Youtube

Le mariage n’est plus un passage obligé de la vie conjugale. Dès lors, ce « choix » est généralement présenté comme un véritable « événement » à l’échelle du couple. Les futurs époux effectuent une série « d’annonces », plus ou moins formelles, aux différentes composantes de leur entourage : leurs familles, leurs différents cercles d’amis et de connaissances, et même … eux-mêmes !

Dans ce contexte, « la demande en mariage » redevient un acte incontournable de l’engagement matrimonial sous une forme renouvelée. Elle ne s’adresse plus au père de la promise, mais directement à celle-ci. L’initiative reste cependant le plus souvent masculine et réaffirme symboliquement une différence de genre au sein du couple alors que celui-ci est depuis les années 1960 fondé sur l’égalité des droits et devoirs des deux époux. Le jeune homme demande sa main à la jeune femme dans une mise en scène prévue dans les moindres détails même si elle est censée produire une « surprise ». L’étonnement de la mariée concerne surtout la forme de la demande en mariage plus que le fond de la question posée, généralement réglée en amont. Le couple s’est le plus souvent déjà accordé sur leur souhait de convoler, certains ont déjà réservé une date et une salle pour leurs noces, en sorte que « la demande en mariage » suit généralement la décision de se marier plus qu’elle ne la précède. Simple formalité, la forme de cet événement est pourtant essentielle. Les futures épouses semblent mesurer l’attention qu’on leur porte à la qualité de l’engagement de leur époux dans sa réalisation. Bien qu’en théorie « personnalisées », les demandes en mariage s’uniformisent progressivement depuis les années 2000 autour d’un modèle de luxe romantique (un restaurant ou un hôtel de « de rêves », un bijou précieux…) et d'une mise en scène spectaculaire. Elles contredisent souvent les principes d’originalité qu’elles valorisent a priori. Pour un jour ou pour une soirée unique, le futur époux revêtit les habits de chevalier et traite sa future épouse en princesse. La répartition inégalitaire du partage des taches domestiques et conjugales reprend son cours dès le lendemain et pour toute la durée des préparatifs du mariage.

Un an pour un jour : l’allongement des « préparatifs »

Exemple de Rétroplanning proposé par le site La Robe de Juliette

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Les « préparatifs du mariage » désignent désormais la planification des noces et moins « la préparation au mariage » i.e. l’organisation du couple qui, de fait, existe déjà. Que les époux se consacrent davantage à la conception de la fête qu’à l’édification de leur union n’a pas réduit l’importance des « préparatifs », au contraire.
Depuis la fin des années 1990, leur durée s’est continûment allongée. La norme est de prévoir « un an minimum » pour organiser une belle fête. Les guides pratiques, les retroplannings, les to-do lists permettent de rationaliser cette période et d’en tirer parti efficacement, suivant des modèles de plus en plus standardisés qui justifient aux yeux du couple la nécessité de consacrer « un an » de leur vie pour « un jour ». Les préparatifs sont devenus une période exigeante, qui s’apparente à une performance au sens sportif du terme, une véritable épreuve requérant des compétences multiples : concentration et réactivité de chaque instant, mais aussi endurance et résistance sur le long terme. En s’engageant totalement dans les préparatifs, les couples leur confèrent un nouveau sens symbolique. Ils n’assurent pas seulement la production d’une fête et l’expression d’un couple, mais confortent aussi celui-ci dans sa réalité à travers l’épreuve qu’il s’est lui-même imposée.

La préparation du mariage peut être comparée à une épreuve ordalique qui donne au couple la mesure de son intensité, comme si la réussite des préparatifs conditionnait la réussite nuptiale (et peut-être incidemment la réussite conjugale).
- Soit le couple réussit à se consacrer entièrement au projet de mariage qu’il s’est fixé et est « sauvé » en ayant fait preuve de sa force et de son unité.
- Soit le couple échoue dans sa capacité à s’engager et révèle ainsi sa faiblesse qui le condamne du même coup.

La robe de mariée

Au début du XXe siècle en France, la robe de mariée des paysannes (c’est-à-dire de la majorité des femmes) était noire. Le blanc, réservé aux classes aisées s’est imposé à partir des années 1920. Les robes raccourcissent dans les années 1960. Au XXIème siècle, la robe blanche, longue, princière semble s’imposer à toutes, au-delà des frontières sociales, géographiques, culturelles. En réalité, la robe de mariée n’est plus simplement « blanche » : elle est sable, ivoire, perle, champagne, vanille, poudre… et comporte une multitude d’infinis détails qui permettent de la « personnaliser ». Ainsi les mariées peuvent-elles succomber à la traditionnelle robe de mariée, sans s’imposer le port d’une robe « traditionnelle » i.e. convenue et commune qui nuirait au souhait d’être unique pour ce jour. L’achat ou la confection de la robe de mariée sont souvent relatés comme une véritable épopée. À l’issue d’une quête semée d’embûches, la découverte de « La Robe » s’apparente à une rencontre amoureuse entre « coup de foudre » et « révélation » d'après les futurs mariés. C’est souvent la robe qui choisit la mariée : comme un prétendant, elle l’élit entre toutes. Mieux encore, elle la reconnaît comme princesse en mettant en valeur son éclat singulier.

La robe fait désormais corps avec la mariée. Robe et mariée ne font plus qu’une, elles s’épousent pour le meilleur. La fonction attribuée à l’habit nuptial a donc changé. La robe n’est pas un artifice qui crée la princesse de toute pièce, une sorte de déguisement dont personne, les femmes les premières, ne serait dupe. Elle est un voile d’authenticité qui se fait oublier et qui « révèle » la vraie nature princière des femmes. Ce pouvoir de dévoilement qui accorderait une chance de sublimation à chaque femme réintroduit cependant des inégalités sociales là où il prétend les atténuer. En valorisant des dispositions physiques (la bonne santé, le juste poids, le teint éclatant) qui sont celles des milieux les plus favorisés, la robe d’authenticité, ne fait qu’exacerber l’inégalité des situations, en faisant passer pour beauté naturelle des qualités qui sont avant tout socialement acquises et modelées.

Le Choix de la Robe

Les Témoins de Mariage

Le code civil requiert au moins deux témoins pour enregistrer une union matrimoniale à la Mairie. La norme juridique est toutefois interprétée différemment suivant les milieux et les périodes, traduisant les variations du sens donné au mariage. Comme le nombre d’invités aux noces, le nombre de témoins présents devant l’état civil a augmenté depuis la fin des années 1990 : ils sont plus souvent quatre, en particulier dans les milieux aisés. Les témoins appartiennent généralement à la génération du couple. Si les sœur, frère, cousin, cousine… sont encore fréquemment convoqués, ils sont aussi rejoints par les membres des familles élargie ou recomposée (demi-frère, demi-sœur) et de plus en plus supplantés par les ami.e.s des futurs époux. L’accroissement de l’âge moyen des mariés et leur volonté d’affirmer leur mariage comme un acte conjugal plus qu’une tradition familiale contribuent à orienter le choix des témoins vers le réseau amical plus que familial. Celui-ci est d’autant plus vaste que les époux sont d’un milieu social favorisé ou en mobilité sociale ascendante. Le cas échéant, les témoins ne valident pas seulement de l’union matrimoniale, mais aussi la réussite sociale des futurs époux en évoquant ses différentes étapes (ami.e.s de primaire, d’activités sportive ou associative, d’études supérieures, etc.).

De plus en plus électif, le choix des témoins revêt un sens de distinction sociale et de mise en scène du parcours accompli, même si c’est l’intensité du lien et des événements vécus ensemble qui est mise en avant. Illustration de l’accroissement de la scénarisation de la cérémonie de mariage, les fonctions des témoins se multiplient et se diversifient : ils ne sont pas seulement responsables devant la loi de l’enregistrement officiel de l’union, mais garants également du bon déroulement des festivités qui lui sont associées. Les jeunes couples demandent à leurs témoins de programmer leur enterrement de vie de jeune fille ou de jeune garçon, organiser diverses activités ludiques et festives le jour du mariage, conserver une humeur affable, dynamique et communicative tout au long de la soirée. Au besoin, ces nouvelles attributions leur sont rappelées à l’aide d’une charte du témoin « idéal » dont la perfection doit être à l’image de la fête du mariage à laquelle ils participent.

Le Choix des Témoins

Pour citer cet article

Florence Maillochon, Pierre Brochard, « La fête de mariage au XXI ème siècle Une mise en scène du couple parfait ? (France,2016)», Revue Images et Sciences Sociales [En ligne], 2016 (n° 003). URL : http://iess.lamop.fr/003/

L'Auteur

Florence Maillochon est sociologue, spécialisée dans l’étude des relations interpersonnelles (la sexualité et la sociabilité des adolescents, les violences, le mariage…). Elle est professeure attachée à l’ENS et directrice de recherche au CNRS au Centre Maurice Halbwachs dans l’Équipe de Recherches sur les Inégalités Sociales.
Pierre Broch@rd est ingénieur d'études au CNRS et a réalisé cet objet numérique.

Pour aller plus loin

Maillochon Florence (2016), « La Passion du Mariage », Presses Universitaires de France - PUF, 378p. Lien Social (le)
Maillochon Florence (2014), « La fête du mariage, un marqueur des inégalités sociales en France » in Serge Paugam (dir.) L’intégration inégale , Presses Universitaires de France - PUF, Paris, pp. 139-154.
Maillochon Florence et Castrén Anna-Maija (2011), « Making Family at a Wedding: Bilateral Kinship and Equality » in Families and Kinship in Contemporary Europe. Rules and Practices of Relatedness , Palgrave Macmillan, London, p. 31-44.
Maillochon Florence (2011), « Le coeur et la raison. Amis et parents invités au mariage » Genèses,83, p. 93-117.
Castrén Anna-Maija et Maillochon Florence (2009), « Who chooses the wedding guests, the couple or the family? Individual preferences and relational constraints in France and Finland » European Societies, 11 (3), p. 369-389.
Maillochon Florence (2009), « L’invitation au mariage. Une approche des réseaux de sociabilité du couple », Redes, 16, p. 29.
Maillochon Florence (2009), « La femme du ménage », Temporalités, 9.
Maillochon Florence (2008), « Le mariage est mort, vive le mariage ! Quand le rituel du mariage vient au secours de l’institution », Enfances, Familles, Générations, 9, Faculté de droit, Université de Montréal.
Maillochon Florence (2002), « Le coût relationnel de la robe blanche », Réseaux, 20 (115), p. 52-90.

Sources

Photo d'introduction : Mariage Corinne Bruno baiser, par Eurobas sous licence CC BY 3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/3.0)
Wedding Photography in Paris, France, par Victorgrigas sous licence CC BY-SA 4.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)
Talmont-sur-Gironde 17 Photographie mariage 2013, par JLPC sous licence CC BY-SA 3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)
Photographie de Mariage, France, par Pierre Martins (CMH) sous licence CC0 (https://creativecommons.org/publicdomain/zero/1.0/deed.fr)
Photographie Mariés assis, France, par Florence Maillochon (CMH) sous licence CC0 (https://creativecommons.org/publicdomain/zero/1.0/deed.fr)
Photo-Couple-E.Lechat-Chateauneuf-sur-Loire, par Florence Maillochon (CMH) sous licence CC0 (https://creativecommons.org/publicdomain/zero/1.0/deed.fr)
24-5-10, mariage de Poulenard [sortie de l'église des mariés], sur Gallica.