Le projet Dynegal

Pourquoi les inégalités de patrimoine sont-elles mieux tolérées que d'autres ?

Le projet de recherche DYNEGAL (dynamique des inégalités - la formation des représentations, Paris, 2013) conjointement mené par le GEMASS (Groupe d'Etude des Méthodes de l'Analyse Sociologique de la Sorbonne), le CMH (Centre Maurice Halbwachs) et PACTE (Politiques publiques, ACtion politique, TErritoires), a pour objectif d’identifier, d'expliquer les mécanismes de formation des représentations des inégalités.

Le Contexte et le Dispositif

Les sondages se succèdent pour montrer que les Français sont plus tolérants à l'égard des inégalités de patrimoine que vis-à-vis d'autres types d'inégalités, même lorsqu'elles sont aussi à caractère économique. Une enquête par entretiens semi-directifs auprès de trois générations de 35 lignées familiales (n = 105) a permis de mettre à jour trois logiques propres venant structurer les opinions sur la transmission patrimoniale : celle du libre agent, celle de l'égalité citoyenne et celle que l'on peut qualifier de familialiste.

Quelle que soit cette logique, beaucoup d'interviewés soulignent aussi l'importance de la transmission culturelle et/ou affective. Il faut d'ailleurs noter que les membres d'une même lignée ont tendance à partager des opinions assez proches. Pour les niveaux plutôt faibles de patrimoine auxquels ils songent spontanément, ils manifestent une très forte aversion face à l'idée de taxer l'héritage, surtout s'il s'agit de la maison familiale. Pour des niveaux beaucoup plus élevés, une taxation importante n'est cette fois guère contestée.

Ces entretiens ont été menés dans le cadre du programme « DYNEGAL » (cf. le site dynegal.org pour plus de détails) financé par l’Agence Nationale de la Recherche. D’une durée moyenne de 45 minutes, ils ont permis d’interroger 3 générations d’individus d’une même lignée (1/3 de 15-25 ans, 1/3 de 26-60 ans 1/3 de plus de 60 ans). Ils ont porté sur 41 hommes et 64 femmes établis, en milieu rural, périurbain ou urbain, dans différentes régions françaises (Paris, Ile-de-France, Hauts-de-France, Grand-Est, Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Occitanie, Nouvelle-Aquitaine, Pays-de-la-Loire, Bretagne, Guadeloupe). Une attention particulière a été portée à la variété des origines religieuses et sociodémographiques (regroupés en grandes catégories, toutes les situations de ménages, tous les niveaux d’études, tous les groupes socioprofessionnels, toutes les fourchettes de revenus, toutes les situations de logements, toutes les positions de l’échelle politique se sont rencontrées au moins une fois).

Perception des inégalités par les interviewé.e.s

La première question posée aux interviewé.e.s était "Pensez vous que la société française est très inégalitaire ?". Une grande majorité des individus ont répondu par l'affirmative.

Dans un deuxième temps, les interviewé.e.s étaient interrogé.e.s sur les types d'inégalités auquels ils songaient.

Plus des deux tiers des interviewé.e.s évoquent les inégalités de revenus

Des inégalités de patrimoine jugées moins fortes et plus acceptables que d’autres inégalités économiques

A votre avis, l’héritage (transmission du patrimoine) joue-t-il un rôle important dans la reproduction des inégalités entre les générations ? ».

Cas pratique:

Puis on leur demandait : « Supposons que l’héritage d’un patrimoine (obligations, actions, immobilier, terrain…) de 500.000 € soit taxé de 100.000 €, soit un taux d’imposition de 20 %. Cela vous paraîtrait-il juste ? Pourquoi ? »

On précisait ensuite le questionnement : « Si à présent ce patrimoine est exclusivement constitué par une maison familiale de 500.000 € et que la taxation est identique, cela vous paraît-il juste ? ».

Section 5:

Une autre question portait sur la possibilité de déshériter ses enfants : « En France, il n’est pas possible de déshériter complètement un de ses enfants, contrairement à ce qui est, par exemple, possible en Grande-Bretagne. Qu’en pensez-vous ? »

Si les plus agés ont plutôt répondu en faveur de l’impossibilité de déshériter ses enfants, les plus jeunes répondants ont souvent eu une réaction inverse, au nom de la liberté de choix individuelle.

A la question sur les taux d’imposition appliqués aux héritages, Robert, proche du parti communiste, a ajouté des éléments de son opinion générale en matière d’impôts.

Pour citer cet article

Michel Forsé, Alexandra Frénod, Caroline Guibet Lafaye, Maxime Parodi, Pierre Brochard, « Pourquoi les inégalités de patrimoine sont-elles mieux tolérées que d autres ?», Revue Images et Sciences Sociales [En ligne], 2019 (n° 004). URL : http://iess.lamop.fr/004/

L'Auteur

Le Projet Dynegal (dynamique des inégalités - la formation des représentations), conjointement mené par le GEMASS (Groupe d'Etude des Méthodes de l'Analyse Sociologique de la Sorbonne), le CMH (Centre Maurice Halbwachs) et PACTE (Politiques publiques, ACtion politique, TErritoires), a pour objectif d’identifier, d'expliquer les mécanismes de formation des représentations des inégalités.

Michel Forsé est sociologue, Directeur de Recherche au CNRS et membre du Centre Maurice Halbwachs (CNRS, ENS, EHESS) où il dirige le « Groupe de recherche sur la cohésion et la justice sociale » (GRECO).
Caroline Guibet Lafaye est directrice de recherche au CNRS (Centre Maurice Halbwachs – EHESS – ENS). Agrégée et docteur en philosophie de l’Université de Paris-I Panthéon-Sorbonne, elle consacre ses travaux à l’analyse de l’appréciation des inégalités et de leur légitimation, en contexte redistributif.
Alexandra Frénod est ingénieure d’étude au CNRS, membre permanent du GEMASS (Groupe d’étude des méthodes de l’analyse sociologique).
Maxime Parodi est chargé d’études sociologiques à Sciences Po Paris, (Observatoire Français des Conjonctures Economiques).
Pierre Brochärd est ingénieur d'étude au CNRS et a réalisé cet objet numérique.

Pour aller plus loin

Michel Forsé, Alexandra Frénod, Caroline Guibet Lafaye, Maxime Parodi (2018), "Pourquoi les inégalités de patrimoine sont-elles mieux tolérées que d’autres ?", Revue de l’OFCE, n°156

Michel Forsé, Sophie Richardot, Alexandra Frénod, Caroline Guibet Lafaye, Maxime Parodi (2016), "The Sense of Distributive Justice in Children from 6 to 10. Equality Predominates but Sharing Norms are Different Depending on School Performance". European Journal of Social Sciences, 54-1

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